La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, août 30, 2006

Victor du Bled par Léon Daudet

Comme promis, voici un extrait des Souvenirs de Léon Daudet. J’ai choisi à dessein la description d’un personnage hautement obscur (en ce qui me concerne) pour vous prouver que ces mémoires ne sont pas uniquement hautes en couleur et intéressantes aux moments où l’auteur évoque des célébrités. Ce passage se trouve dans le troisième volume des Souvenirs, intitulé L’entre-deux-guerres :

« En même temps s’avançait un être long, crevard, noir et plat, cravaté de noir, sur un plastron d’habit gondolé, terreur des cercles de conversation et des salles à manger, tueur de mouches, d’auditrices et d’auditeurs, le conférencier mondain Victor du Bled. Vous connaissez ce haut plumeau juché sur un bâton, à l’aide duquel on enlève au plafond les toiles d’araignée. Tel se présentait l’historien anecdotier des milieux intellectuels et littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle, l’animal qui a mis la Sévigné en tartines et la d’Epinay en boulettes, le surraseur devant lequel s’enfuient les femmes, les enfants, les vieillards. Peine inutile ! Il les poursuit, les accule à un mur, à une table, à un fauteuil. Collé contre eux, genoux contre genoux, coudes dans le ventre, haleine contre haleine, il les étreint, les malaxe, les broie, les arrose d’une salive gluante. Les malheureux succombent, demandent grâce, étouffent, cherchent à fuir. Du Bled, de ses grands bras maigres, les maintient et, de sa grande bouche, les asphyxie. Ils voient repasser, sur leur muqueuse nasale, sortant de l’estomac de Du Bled, mêlés à tous les amas de la cuistrerie, les affreux souvenirs du dîner récent, la gelée colle et la sauce Périgueux, le vol-au-vent plein d’un gaz triste et la timbale aux crevettes ammoniacales. Les jambes de Du Bled étant longues et décharnées, telles que des échasses pantalonnées, certains ont essayé de fuir par le compas. Alors le monstre, se retournant les repoussait en sens inverse, sur l’autre paroi du salon Buloz. Car il a la tactique de cet appartement, depuis une vingtaine d’années qu’il y fréquente.
Un jour, Du Bled, qui court les antichambres comme les poètes crottés courraient les ruelles, eut l’idée baroque de rendre en une fois, à toutes ses victimes, leurs politesses, et l’idée plus baroque encore de me convier à ces agapes. Cela se passait dans un appartement assez grand mais aplati, où deux cents personnes environ devaient déjeuner par petites tables. Les nains et les naines y tenaient à l’aise, mais les géants comme Costa de Beauregard y trituraient, courbés en deux, les ténébreux aliments que la prodigalité de Du Bled avait alignés dans nos mangeoires. Je reconnus tout aussitôt avec terreur les menues de la Revue des Deux Mondes, ses sauces vénéneuses, ses filets de bœuf à la fois chlorotiques et durs, d’une consistance de talon de facteur rural. La faveur de l’amphirasoirtryon m’avait placé à la même table que Brunetière, dont j’étais séparé par une ravissante et enthousiaste Américaine à tête d’ange géométrique. L’auteur des Motifs d’espérer et des Raisons de croire accablait cette jeune transatlantique des plus extravagants paradoxes, qu’il interrompait pour ingurgiter, en le savourant, l’infernal bordeaux de du Bled. »

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mardi, août 29, 2006

Fin de siècle, amour vache, Villon et Mai 68 (notes de lecture)

Comme promis, nous allons nous lancer dans un bref résumé de mes lectures estivales. Tout ce qui est contemporain (à une exception près) fera l’objet de notes ultérieures (enfin, si j’en ai le courage !). Nous resterons donc dans les ouvrages classiques ou oubliés, la plupart du temps rédigés par des auteurs dont je vous ai déjà parlé.

Pierre Louÿs (Sanguines, Aphrodite, Les chansons de Bilitis) . Je ne reviens pas sur l’auteur de Pybrac à qui j’aie consacré la note précédente. Je continue néanmoins à découvrir avec délectation son œuvre « officielle ». Les chansons de Bilitis sont présentées par leur auteur (qui n’avait alors que 24 ans !) comme une traduction du Grec. C’est bien entendu une mystification et cette poétesse nommée Bilitis n’a jamais existé. Le recueil est composé de trois parties : l’enfance et l’adolescence de Bilitis (le désir naissant, ses amours avec un berger), un voyage à Mytilène (occasion d’un bel amour saphique avec une courtisane) et une dernière partie à Chypre. La pureté du style de l’auteur fait de ces vers une boisson enivrante et sensuelle au charme indéniable. L’érotisme est omniprésent sans jamais être cru. Ce type d’atmosphère, on le retrouve dans le beau Aphrodite, roman se déroulant également dans l’Antiquité et qui contient tous les thèmes de l’écrivain (le désir qui se dérobe à mesure qu’on approche de son objet, l’inaccessibilité de l’Idéal en amour…). Les nouvelles cinglantes de Sanguines méritent également d’être redécouvertes…

Georges Bernanos (Nous autres, Français, Dialogues des carmélites). Pas énormément de choses à ajouter à propos du grand écrivain catholique. Je persiste à préférer le polémiste au romancier. Je reconnais volontiers la beauté du style des Dialogues des carmélites (qui est une adaptation d’une nouvelle allemande qui devait être adaptée au cinéma et qui ne sera que beaucoup plus tard) mais je dois avouer que mon irréductible athéisme m’a laissé aux portes de ce couvent français pendant la Terreur. Tant pis pour moi. Nous autres, Français est un recueil d’articles publiés avant le début de la seconde Boucherie Mondiale où Bernanos vitupère l’abdication de ses compatriotes face à la montée des périls et des dictatures. C’est intéressant, surtout lorsqu’il s’en prend à celui qui fut l’un de ses maîtres à penser pendant sa jeunesse : Charles Maurras. Et comme nous allons reparler de l’antisémitisme d’autres écrivains de la génération précédente (Bernanos a été nourri à l’antisémitisme de cette crapule de Drumont et de l’Action française), je trouve assez touchant de le voir comprendre à quel point le racisme et la xénophobie vont précipiter l’Europe dans l’abîme (même si le début de la citation peut choquer !) : « Je crois qu’il y a une question juive, je crois au péril que la nation juive, l’esprit juif, le génie juif, admirablement défini par Bernard Lazarre et Péguy, font courir à la défaillante chrétienté. Mais j’aimerais mieux être fouetté par le rabbin d’Alger que de faire souffrir une femme ou un enfant juif. »

Adolphe Retté. (Quand l’esprit souffle). Je crois qu’il n’y a rien de pire au monde que les renégats. Nous parce qu’ils ont changé d’avis (après tout, seuls les imbéciles, etc.) mais parce qu’ils mettent à leur tour un zèle imbécile à défendre ce qu’ils ont d’abord combattu. Pour preuve, l’anarchiste Retté (voir ma précédente note de lecture) transformé en crapaud de bénitier et racontant ici, dans un style béni-oui-oui ostentatoire, la conversion de personnes célèbres (Huysmans, Verlaine, Claudel) ou pas. C’est bête à pleurer et d’un ennui total.

Léon Daudet (Fantômes et vivants, L’entre deux guerres, Salons et journaux). Ca y est, j’ai enfin réussi à me procurer les six premiers volumes de la série des souvenirs de l’écrivain et polémiste royaliste Léon Daudet (le fils d’Alphonse). Ces trois volumes sont un régal même si au cœur de ce succulent poisson, on trouve parfois quelques arrêtes. Ces arrêtes sont l’antisémitisme odieux de l’auteur qui se traduit par des pages dithyrambiques en faveur de l’abject Drumont et de sa France juive (dans Fantômes et vivants) ou par un chapitre intitulé « l’influence des juifs pendant l’Entre-deux-guerres » (dans le troisième Tome). Cette phobie de l’Israélite est tellement ridicule et grotesque qu’elle prêterait à rire si on ne connaissait pas les effets qu’elle eut un demi-siècle plus tard ! Passons. Le reste est fabuleux car Daudet est un conteur hors-pair qui décrit avec une verve inouïe la vie parisienne de la fin du XIXème siècle. Les tableaux qu’il dresse des milieux littéraires et artistiques sont pleins de vie et l’auteur a un don certain pour la formule lapidaire et imagée (« Mendès, sur un sentiment vrai, fait l’effet d’une limace sur un fruit. ») De plus, il a côtoyé tout le monde. Fantôme et vivants sont les souvenirs de jeunesse d’un jeune homme qui fréquente la famille Hugo (l’enterrement de Victor est un grand moment), qui observe aux soirées de son père des gens comme Maupassant, Rochefort, Zola (qui en prend plein la tête) ou encore Mirbeau... L’entre-deux-guerres relate aussi bien la participation de Daudet au Journal de Xau (coucou Coppée, Alphonse Allais, Tristan Bernard…) que les « tendances » intellectuelles de l’époque (l’auteur évoque les attentats anarchistes et dénigre l’influence de gens comme Tolstoï, Ibsen ou Nietzsche sur l’intelligentsia du moment) ou un voyage en Angleterre (où l’on croise James, Meredith et « l’affaire » Wilde) . Quant à Salons et journaux, comme son titre l’indique, c’est une plongée passionnante dans les divers milieux parisiens (les salons, les coulisses du Gaulois, l’exposition universelle de 1900 et des restaurants où se croisaient Proust et Debussy). Je mettrai certainement en ligne un extrait de ces souvenirs pour vous donner un exemple de ce style vif et imagé, volontiers rabelaisien.

Léon Bloy (Le salut par les juifs). Il me faut encore parler de Drumont puisque dans cet essai, Bloy commence par cracher sur la France juive et cette manière qu’a l’auteur de faire commerce de son antisémitisme. Le reste est une exégèse typiquement Bloyenne, le flot torrentiel d’une écriture unique qui charrie aussi bien les pépites que les rogatons. Les rogatons, c’est cet éternel antisémitisme qui choquera un esprit de ce début du 21ème siècle. Mais si on lit entre les lignes, on verra que cet antisémitisme purement théologique (ça n’a rien à voir avec le racisme nazi, même s’il n’est pas plus acceptable pour autant !) se caractérise par l’espoir de la rédemption par ce peuple. Il creuse dans les textes (la parabole du fils prodigue) afin de montrer que ce Salut est déjà écrit. Coupables d’avoir crucifié le Christ, Bloy voit dans la vie de tous les jours les juifs condamnés à répéter sans arrêt ce geste (puisque ce sont eux qui détiennent l’argent, ils crucifient chaque jour le Pauvre et l’Argent n’est finalement rien d’autre que le Sang du Christ qui inonde la planète). Ce geste fait horreur à l’auteur mais il est empli d’une vraie pitié pour ce peuple « maudit » qui finira par retrouver le « vrai chemin ». Voilà très sommairement résumé (je schématise à l’extrême) une pensée parfois difficile à suivre (because, toujours mon athéisme) mais assez unique et attachante malgré (à cause de ?) ses excès.

Félicien Champsaur (Nora, la guenon devenue femme, La caravane en folie). Champsaur est un écrivain totalement typique de la fin du 19ème siècle, fasciné par la déliquescence et la décadence d’une civilisation gangrenée par l’argent et l’ambition. Après l’arriviste, tableau balzacien en trois volumes de la vie parisienne ; Nora est un roman de science-fiction où une bande de savants a réussi à donner naissance à un singe presque civilisé et à faire d’une guenon une femme et une star du music-hall (l’héroïne est dessinée, sur la couverture, sous les traits de Joséphine Baker !). Contrairement aux apparences, le film est dénué du moindre soupçon raciste et flétrit davantage les mœurs dites civilisées que les instincts dits animaliers. L’auteur exalte « l’amour sans frein et sans loi » qui représente pour lui « le fond de la vie » et profite pour exacerber le climat sensuel et érotique de son œuvre. Très intéressant.
La caravane en folie se présente d’abord comme un roman exotique dont étaient friands les lecteurs de l’époque (il y a un côté Claude Farrère). On y suit les aventures d’un brave commandant traversant l’Afrique en compagnie de sa superbe femme vers qui tous les regards sont rivés. Si l’on fait fi d’un certain regard colonialiste (mais néanmoins respectueux dans la mesure où sont dénoncées les exactions blanches), le livre est très agréable et vaut pour son climat de sensualité lourde. Champsaur, à son habitude, exacerbe le climat érotique de son récit et créé une atmosphère moite où les désirs se font électriques. Je ne comprends pas que cet écrivain soit si oublié !

Abel Hermant (la biche relancée). Mon goût pour la littérature fin de siècle me joue parfois des tours puisqu’il m’a poussé à essayer un livre d’Hermant dont il me semblait avoir entendu parler dans Fascination (et chez Daudet où l’auteur de Serge est raillé de manière hilarante !) Or en vérifiant mes sources, je me suis rendu compte que j’avais affaire à un écrivain totalement conformiste (qui sera même par la suite radié de l’Académie Française pour avoir écrit dans les journaux collabos pendant la 2ème guerre mondiale et affiché une fascination homosexuelle pour les soldats nazis occupant la France). La biche relancée est un roman d’analyse où l’auteur copie le style 18ème pour dresser un tableau sans sève de sa classe sociale (c’est un spécialiste des romans « à clés » mais il est difficile, pour moi, de mettre un nom « réel » derrière chacun de ses personnages). Cette « littérature de porcelainier macabre » (Daudet) est totalement apprêtée (ah ! Cette manière de remplacer le « pas » par le « point » histoire de ne « point » paraître vulgaire !) artificielle et d’un ennui total.

Tristan Bernard (Amants et voleurs). Délicieux recueil de nouvelles mettant en scène un certain nombre de voleurs (surtout) et de quelques amants. A part deux textes (où l’auteur abuse de l’argot) qui ont mal vieilli, le reste est d’un très haut niveau et j’avoue goûter avec bonheur à l’esprit de Bernard (qui est fort drôle mais beaucoup plus pessimiste qu’on veut bien le dire). Au rayon des curiosités, on notera que la nouvelle La dernière visite est une version en prose de la pièce Jeanne Doré que Tristan Bernard créera pour Sarah Bernhardt.

George Bernard Shaw (César et Cléopâtre, la profession de Mme Warren, Correspondance). Je poursuis également ma découverte du grand dramaturge (et polémiste) britannique GB.Shaw. Le style de ses pièces est assez particulier, très satirique et ne cherchant pas forcément à boucler une intrigue. La profession de Mme Warren est une féroce satire de l’Angleterre puritaine où la prostitution est utilisée comme métaphore plus globale pour désigner un monde où rien n’existe en dehors de l’argent. Quant à sa pièce « historique », Shaw joue malicieusement sur une donnée rarement soulignée : lorsqu’ils se rencontrèrent, César avait plus de 50 ans alors que Cléopâtre en avait 15, 16 ! L’auteur, en faisant de la reine égyptienne une gamine apeurée persuadée que les romains vont la manger, arrive à démystifier le couple et s’amuse de l’héroïsme guerrier, de la gloriole.
Sa correspondance avec Mrs Patrick Campbell est aussi assez passionnante. Outre qu’elle offre un témoignage très vivant des milieux théâtraux anglais au début du 20ème siècle, elle dessine à mesure qu’elle avance le récit perfide d’un amour atrocement vache. Dans un premier temps, alors qu’il est marié, Shaw tombe follement amoureux de l’actrice dont il fera l’héroïne de son Pygmalion (pour ceux qui ne connaissent pas du tout, c’est cette pièce qu’adaptera Cukor lorsqu’il réalisera My fair lady). Malheureusement, l’actrice se remariera avec quelqu’un d’autre et le dramaturge lui conservera toujours une rancune sans pour autant cesser de lui écrire. On assiste alors à la longue déchéance d’une actrice tandis que le dramaturge vole vers une notoriété qui ne sera dès lors plus démentie. Cette manière qu’ils ont de s’aimer, de se séduire et de se déchirer fait de leur relation un vrai roman épicé et palpitant.

Jean Teulé (Je, François Villon). Une petite incursion dans la littérature contemporaine en compagnie d’un ancien animateur de Nulle part ailleurs (époque Canal+ historique) qui semble s’être spécialisé dans les biographies (très) romancées des poètes de notre patrimoine. Après Rimbaud et Verlaine, Teulé s’attèle ici à relater la vie de François Villon. Les chapitres courts et un certain sens du romanesque font que le livre n’est pas désagréable à lire même si j’avoue n’avoir pas été transporté par l’entreprise. D’une part, je trouve un peu artificielle la manière dont Teulé tente de relier les poèmes du maître avec certains éléments de sa vie. D’autre part, il y a un petit côté « Villon pour les Nuls » dans ce livre qui me semble assez superficiel (l’épisode des coquillards me semble un brin longuet et l’auteur en rajoute dans le côté « mauvais garçon » et truand du poète). A vous de voir…

Jacques Baynac (Mai retrouvé). En Mai 68, Jacques Baynac est à Censier et trouve sa place comme animateur d’un des plus fabuleux moments révolutionnaires du siècle. 10 ans plus tard, il est devenu historien et a publié un certain nombres de livre sur divers mouvements révolutionnaires (les anars français, les révolutionnaires russes ou la bande à Baader). Mai retrouvé retrace donc les évènements de ces belles journées qui faillirent ébranler le monde. Le livre se compose de deux parties. La première est plutôt évènementielle et Baynac fait appel à ses souvenirs pour retracer le début du mouvement jusqu’à cette fameuse nuit des barricades. La deuxième est plus analytique et rend compte des projets mis en œuvre (surtout à Censier) pour la poursuite du mouvement et pour y associer la classe ouvrière.
L’intérêt du livre, c’est son « double-regard ». D’un côté, celui du témoin engagé dans un mouvement qui raconte avec fougue son expérience ; de l’autre, celui de l’historien qui corrobore ses dires par un certain nombre de sources et qui se réfère sans arrêt à des données objectives. Si la vision de Baynac reste partiale (le Mai des situationnistes relaté par René Viénet dans Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations doit être différent), il n’en reste pas moins qu’il nous offre là un livre parfaitement documenté et qui met bien en lumière certains aspects désormais très connus de ce mouvement (la manière dont le PC et la CGT l’ont saboté pour aboutir aux tristement réformistes accords de Grenelle). Un témoignage exaltant !

Graham Greene. (Notre agent à la Havane). Une amie libraire m’ayant offert ce livre, je me suis résolu à le lire sans le moindre enthousiasme, n’ayant aucun goût pour l’espionnage et autres jamesbonderies. Je n’avais jamais lu un livre de Greene et je dois avouer que dès les premières pages, j’ai été séduit par ce roman d’une grande drôlerie. L’auteur s’est s’en doute servi de ses propres souvenirs pour narrer cette invraisemblable histoire d’un vendeur d’aspirateurs qui voit sa vie basculer lorsqu’on le propulse, « à l’insu de son plein gré » espion pour la couronne à la Havane ! Pour l’argent, notre héros joue le jeu et raconte de gros bobards qui permettent à Greene de se moquer des services d’espionnages britanniques. L’humour (flegmatique, bien entendu) est constant et le rythme jamais pris en défaut. J’ai pris un énorme plaisir à ce livre qui fut pour moi une belle révélation.

(To be continued…)

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lundi, août 28, 2006

Interdit au moins de 18 ans (pause libertine)

Pybrac de Pierre Louÿs (éditions Allia. 2005)

J’ai accumulé un tel retard dans mes notes que je ne sais plus comment vous parler de tous les livres que j’aie lus depuis un mois à moins de pondre un papier de huit pages. De plus, j’ai envie de consacrer à certains titres une note à part entière, comme c’est le cas pour ce petit recueil de poésies pornographiques de l’immense Pierre Louÿs Je vous ai déjà parlé de cet écrivain (et serai amené à le faire encore très prochainement !) dont la postérité n’a malheureusement retenu que deux romans : Aphrodite et La femme et le pantin. Or son œuvre mérite mieux. Ecrivain érudit, féru d’hellénisme, Louÿs fut également un grand libertin et un fieffé érotomane (il avoua avoir connu bibliquement près de 2500 femmes !). Toute son œuvre, des poèmes des Chansons de Bilitis aux nouvelles de Sanguines en passant par ses romans sont imprégnés d’une sensualité lourde, d’un érotisme fin de siècle voluptueux et capiteux. Pas étonnant qu’en marge de ses écrits « officiels », l’auteur ait signé de nombreuses œuvres érotiques beaucoup plus lestes (franchement pornographiques, en fait), d’abord publiées sous le manteau à sa mort puis redécouvertes depuis les années 70-80 (je vous renvoie à la collection de Fascination où Louÿs fait figure d’emblème).

Les excellentes éditions Allia ont réédité la plupart de ces textes « interdits », que ce soit le célèbre Manuel de civilité pour les petites filles (dont nous parlions avec un aimable correspondant) ou son roman Trois filles de leur mère. En attendant de découvrir ces titres que je n’aie toujours pas réussis à dénicher, j’ai pu découvrir Pybrac, hallucinant recueil de quatrains d’une verdeur inouïe.
Il s’agit tout d’abord d’une parodie. Le seigneur de Pibrac était un magistrat et poète toulousain qui publia, au 16ème siècle, un certain nombre de quatrains moralisateurs dont on peut imaginer le caractère édifiant. Louÿs fait mine de reprendre à son compte cette forme sentencieuse (tous ses quatrains ou presque commencent par la formule « Je n’aime pas à voir »…) et la détourne en décrivant les frasques sexuelles les plus crues. Un exemple :

« Je n’aime pas à voir le studieux potache
Qui se branle à plein poing derrière sa maman
Et, sans même songer que le foutre ça tache,
Décharge sur la robe avec ravissement ».

Je ne sais pas pour vous mais moi, ça me fait hurler de rire ! Comme le souligne la postface de ce livre, cette litanie se déroulant au rythme des alexandrins finit par créer un « effet quasiment hypnotique, à la façon de véritables mantras pornographiques ». C’est là où peut se voir la supériorité de la littérature sur le cinéma. Alors que le cinéma porno se réduit à la sinistre répétition de deux, trois figures convenues ; Louÿs arrive, par la grâce de son style, à être toujours inventif, à renouveler le genre à chaque quatrain. A la décharge (si j’ose écrire !) du septième art, il est bien évidemment impossible d’aller aussi loin que l’écrivain et la représentation achoppe devant ce flot littéraire incontrôlable qui va très, très loin (certains vers sont vraiment très « trash ». Ce n’est pas forcément le pire mais dans le genre celui-là n’est pas mal :
« Je n’aime pas à voir qu’une actrice allemande
Courre aux water-closets sans prendre de bougeoir
S’encule par erreur sur un homme qui bande
Et fasse refouler l’étron qui voulait choir.).

Le recueil s’avère également assez fidèle aux obsessions de l’auteur (le saphisme, son goût pour les jouvencelles…) et témoigne parfois d’un anticléricalisme assez délicieux (c’est le dernier exemple, je vous le promets)

« Je n’aime pas à voir la maîtresse du Pape
Qui, pour monter en grade et changer de milieu,
Coïte avec un Christ en forme de Priape
Et se croit chaque soir la maîtresse de Dieu. »

On aura comprit que ce recueil s’adresse à un public averti. Mais, dans le genre, c’est un régal…

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