La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mars 04, 2007

B comme Baudrillard

Le miroir de la production de Jean Baudrillard

Aléas de l’abécédaire : alors que j’avais prévu depuis un petit moment de vous parler d’André Breton pour la lettre B, voilà que quelqu’un m’a chipé au dernier moment les pas perdus. Contraint de trouver en catastrophe un autre auteur, je me suis rabattu du côté des sciences humaines pour dégotter ce petit essai de Jean Baudrillard.
Bien m’en a pris puisqu’il est totalement roboratif. A l’heure des penseurs couchés et de la pensée servile, la parole de Baudrillard reste précieuse et représente parfaitement, selon moi, cette «troisième voie » qu’il s’agit d’explorer entre les rebuts fossilisés des théories marxistes et ses avatars staliniens et le ralliement massif des laquais aux merveilles du capitalisme et de la social-démocratie molle.

Tel qu’il se présente, Le miroir de la production démonte avec une rare acuité certaines impasses de la théorie marxiste, principalement tous les concepts découlant de cette fameuse théorie de la production. Baudrillard reprend les principaux éléments de la théorie marxiste (le travail, la Nature, le matérialisme historique…) et les analyse à rebrousse-poil, montrant qu’une des grosses faiblesses du marxisme est de n’avoir critiqué que les contenus de la production (apologie d’une valeur d’usage mythique contre la valeur d’échange) sans en avoir critiqué la forme. « Faute de concevoir un autre monde de richesse sociale que celui fondé sur le travail et la production, le marxisme ne fournit plus, à long terme, d’alternative réelle au capitalisme ».
Je n’entre pas dans les détails (on ne résume pas une pensée complexe en quelques lignes) mais les observations de Baudrillard sont extrêmement stimulantes, démontrant avec vigueur qu’en élaborant un ensemble de concept dans le cadre même de l’économie politique, le marxisme ne fait que consolider ladite économie. (« Marx fait une critique radicale de l’économie politique, mais il le fait encore dans la forme de l’économie politique »)

Il montre, par exemple, comment la théorie de Marx ne s’adapte pas aux sociétés primitives et à quelle distorsion elle n’hésite pas à se livrer pour faire plier le Réel sous le joug de l’idéologie. « Dès qu’ils [les concepts critiques] se constituent dans l’universel, ils cessent d’être analytiques, c’est la religion du sens qui commence. Ils deviennent canoniques, et ils entrent dans le mode de reproduction théorique du système » La grande force du livre, c’est de montrer justement comment une théorie devient idéologie et se fige dans un discours métaphysique (l’universalisation de la notion de travail et de production, mouvement générique de l’homme à ses débuts tendant à transcender ces notions dans un futur idéal).

A ce caractère générique de la production, Baudrillard oppose « l’échange symbolique » et évoque l’existence de rapport sociaux non fondés sur la survie, la satisfaction des besoins, la nécessité de domestiquer la nature. Il évoque aussi le caractère «actuel » de la Révolution loin des dogmes de la lutte des classes et du dépérissement de l’Etat : « Ce que la poésie et la révolte utopique ont en commun, c’est cette actualité radicale, cette dénégation des finalités, c’est cette actualisation du désir, non plus exorcisé dans une libération future, mais exigé ici, tout de suite, dans sa pulsion de mort aussi, dans la radicale comptabilité de la vie et de la mort. Telle est la jouissance, telle est la révolution. Elle n’a rien à voir avec l’échéancier politique de la Révolution . »
Ce caractère immédiat de la révolution, il les voit dans les révoltes qui surgissent à l’époque de la parution du livre (1975) et qui n’ont rien à voir avec des mouvements «de classes » : mouvements de la jeunesse, des homosexuels, des femmes… Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont l’économie marchande a récupéré ces entreprises de subversion et c’est sur ce seul point que le livre a peut-être un peu vieilli (disons qu’il est alors totalement de son temps).
Le reste est passionnant.

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