La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mai 13, 2007

W comme Westlake

Le couperet (1997) de Donald Westlake (Flammarion. 2007)

Retour au polar à l’américaine pour terminer doucement ce premier abécédaire. Donald Westlake faisait partie de ces « romanciers populaires allumeurs » (dixit Noël Godin) qu’il me tardait de découvrir. Ayant vu l’adaptation cinématographique signée Costa-Gavras du Couperet, c’est sur ce livre que j’ai fini par jeter mon dévolu.
La première chose qui m’a frappé, c’est la fidélité à toute épreuve dont a fait preuve le cinéaste en transposant ce roman à l’écran. L’histoire de ce cadre dans une grande entreprise de papier qui se fait licencier et qui décide, par la suite, d’éliminer consciencieusement ses éventuels concurrents pour obtenir le poste qu’il convoite a été parfaitement respectée par Costa-Gavras et c’est sans doute la rigueur et la nervosité du style de Westlake qui lui ont permis de réaliser ce qui reste sans doute son meilleur film à ce jour (l’auteur de Z m’ayant toujours semblé assez balourd, par ailleurs, dans le traitement de ses récits «engagés »).
Le couperet s’inscrit d’emblée dans cette grande tradition du polar «social », de ces récits noirs qui éclosent sur le terreau humide d’une réalité peu reluisante. Westlake décrit parfaitement bien un monde de l’entreprise en pleine mutation, où les individus n’ont plus leur place et où règnent seuls en maîtres absolus le profit et les actionnaires.
Burke Devore n’est pas un prolo victime des grands patrons. C’est quelqu’un appartenant à la classe moyenne (c’est ce que prétend l’auteur mais reconnaissons que sa situation antérieure évoque plutôt celle de la bonne bourgeoisie américaine) et qui s’aperçoit soudain qu’il s’est fait voler son existence. En tombant dans le cercle vicieux du chômage, des entretiens d’embauche infructueux et des difficultés croissantes pour retrouver une place sur un marché du travail qui exclut les individus ayant passé un certain âge (il a la cinquantaine) ; Burke réalise à quel point il n’existe plus sans emploi, qu’il n’a plus sa place dans un échiquier social devenu totalement absurde.
Westlake montre très bien dans Le couperet que la précarisation menace désormais tout un chacun et pas seulement les plus démunis. Alors pour démonter les rouages de ce mécanisme absurde, l’auteur pousse à bout la logique implacable de l’économie de marché : « Mais un autre changement s’est produit récemment. Aujourd’hui, notre code moral repose sur l’idée que la fin justifie les moyens. ». Puisque les entreprises ont montré l’exemple en «dégraissant », en licenciant malgré leurs profits pour atteindre par tous les moyens leurs «buts » (faire encore plus de profit et complaire aux actionnaires) ; Burke décide de faire de même. Ce n’est pas un criminel ni un fou : juste un type comme vous et moi engagé dans cette impitoyable compétition qu’est devenu le marché de l’emploi et qui tente de s’en sortir par tous les moyens, y compris le meurtre («la fin de ce que j’accomplis, l’objectif, le but, est juste, incontestablement juste. Je veux m’occuper de ma famille ; je veux être un élément productif de la société ; je veux faire usage de mes compétences ; je veux travailler et gagner ma propre vie et ne pas être à la charge des contribuables. Les moyens de cette fin ont été difficiles, mais j’ai gardé les yeux rivés sur l’objectif. Comme les PDG, je n’ai rien à regretter. »).
Le couperet est donc une fable très grinçante sur l’époque (le roman va d’ailleurs plus loin que le film dans la dimension sarcastique) et Westlake détruit avec un humour noir ravageur tous les dogmes absurdes qui régissent le monde du travail (l’outrance de la compétition, le chacun pour soi, le poids immense qui pèse désormais sur les épaules des salariés…). En ne rendant pas antipathique son «héros » (la fin, délicieusement amorale, est savoureuse) mais en lui prêtant une véritable compassion pour ses victimes ; l’auteur vise surtout les responsables de ce jeu grotesque et cette inhumanité qui caractérisent les patrons, les actionnaires et le monde de l’entreprise d’une manière générale.
Le résultat est percutant…



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