La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, juin 01, 2007

Quelques mots sur Jean-Edern Hallier

Le refus (1994) de Jean-Edern Hallier (Ramsay. 1994)

Se garder de porter des jugements trop rapides ! Lorsque j’avais une petite vingtaine d’années (au moment où a paru ce livre), je ne pouvais pas supporter le personnage de Jean-Edern Hallier. Ce provocateur de pacotille, ce trublion médiatique toujours en quête de publicité me semblait exaspérant. Du coup, je n’avais jamais ouvert un de ses livres.

Depuis, Jean-Edern est mort, les passions autour de son nom se sont apaisées et l’on peut commencer à envisager sereinement son œuvre.

D’avoir découvert Le refus me donne une très forte envie de poursuivre mon exploration de la personnalité de ce brillant polémiste. Il ne s’agit pas ici à proprement parler d’un pamphlet mais d’un assemblage assez hétéroclite de textes d’Hallier, tirés de diverses publications (surtout l’idiot international mais aussi Paris-Match ou Le Figaro), d’articles de journalistes consacrés à l’auteur auxquels s’ajoutent des extraits de correspondances (des fax adressés à Jérôme Garcin, à son éditeur…), des poèmes et un délicieux dictionnaire (très subjectif) de la littérature française pour conclure le tout.

Le résultat, quoique inégal, s’avère assez passionnant. Commençons par le moins bon : les poèmes que nous livre Jean-Edern Hallier sont absolument insignifiants et ne présentent pas le moindre intérêt. D’autre part, certains aspects de la personnalité du fanfaron continuent de m’irriter. Malgré la liberté que s’accorde le polémiste (nous allons y revenir), il faut bien reconnaître qu’il subsiste toujours chez lui un côté servile qui le fait s’aplatir devant de biens médiocres personnalités du moment qu’elles le soutiennent. C’est ainsi qui flagorne, un peu trop à mon goût, devant les plus tartignolles « gendelettres » de Paris (que ce soit les flatulents « Jean » (foutre) : Cau, d’Ormesson et Dutourd ou François Nourissier) ou devant d’insignifiants politicards : Seguin ou Balladur (pour ce dernier, Hallier demeure dans l’expectative et conserve une distance critique. Mais c’est sans vergogne qu’il ose écrire qu’il a « rallié la majorité » ! Le comble de la vulgarité pour un pamphlétaire !)

Hallier fut toute sa vie en quête de publicité et usa pour ce faire de stratagèmes assez puérils (comment prendre autrement que comme un caprice ce désir incongru d’être admis à l’Académie Française ?).

Plus intéressant est le tour « journal intime » que finit par prendre ce patchwork de textes. Nous y suivons, au jour le jour, les démêlées de l’auteur avec les éditions Albin Michel lors de la publication de son roman Je Rends Heureux, le feuilleton judiciaire qui l’opposa à Bernard Tapie et ses ennuis de santé qui le rendirent, ces années-là, aveugle. Hallier évoque également le scandale des écoutes de l’Elysée et nous voilà replongé dans la France d’il y a 15 ans, dans les sinistres dernières années du règne Mitterrandien (le sang contaminé, les scandales financiers, le suicide de Bérégovoy…) et le retour (non moins sinistre !) de la droite balladurienne au pouvoir. L’aspect « document » du Refus est assez passionnant.

Mais là où Hallier se montre le plus percutant, c’est sur le terrain de la polémique. Qu’il fustige l’Europe de Maastricht (« Adolescent, je me sentais jeune Européen. J’aimais l’Allemagne des Niebelungen, la Belgique du rempart des béguines, la douce Italienne de Florence, ou la Carmen de Séville. J’étais prêt à coucher avec toutes les Européennes et voici qu’on veut me marier de force avec une fonctionnaire à lunettes de Bruxelles, liftée, son corsage béant sur les gros nichons de sa Silicon valley à elle, et qui s’exprime dans un jargon que le plus prétentieux des bas-bleus n’oserait même pas employer. ») ou la guerre en Irak (du temps de l’immonde Bush senior), c’est toujours avec une verve insolente et plutôt revigorante.

Le livre est construit autour de trois polémiques majeures où Hallier et son journal furent partie prenante. Dans un premier temps, c’est le violent combat que l’écrivain a mené pour publier son pamphlet contre Mitterrand et ses virulentes saillies contre les brontosaures de la gauche caviar (Lang, Fabius, Kiejman.). Bien avant ses multiples condamnations, le bandit Bernard Tapie fut l’objet des fureurs de notre redresseur de torts. Résultat : un procès à rallonge et la saisie des biens d’Hallier (l’avenir prouva que ce dernier était pourtant bien en dessous de la vérité lorsqu’il comparait l’escroc Tapie à Stavisky !).

Deuxième polémique : les boulets tirés sur Le monde des livres et en particulier Josyane Savigneau, copine de Sollers défendant presque exclusivement les ouvrages Gallimard dans les colonnes de son journal. Les attaques d’Hallier ne volent parfois pas très haut mais elles ont le mérite d’éclairer un certain malaise de la presse qui n’a fait qu’empirer depuis (les réseaux de connivence, la dépendance aux grands groupes financiers…)

Dernière polémique dont l’écrivain fut, pour le coup, la victime : l’assimilation de son journal l’idiot international à une passerelle d’entente entre les anciens communistes et l’extrême droite (les « rouges-bruns »). La publication des articles retraçant le film de l’histoire montre à quel point l’épouvantail « fasciste » fut et reste l’une des armes les plus utilisées pour manipuler l’opinion et clouer au pilori quiconque n’adhère pas au moule du prêt à penser de la démocratie molle (à l’époque, c’était le moule de la gauche caviar mais c’est exactement la même chose sous la droite actuelle).

On ne sera pas non plus étonné de retrouver le fourbe Daeninckx derrière cette tentative d’amalgames douteux !

Le refus dessine donc les contours d’une pensée vive et insolente dans la lignée de celle des Lumières qu’Hallier vénère. Cerise sur le gâteau, le livre se termine par un insolent dictionnaire de la littérature française. C’est sur quelques exemples que je terminerai cette note :

« Apollinaire : mort d’un éclat de poème dans la tête. »

« Nègre : prénom inconnu. L’auteur le plus prolifique de la littérature de tous les temps. »

« Bourdieu : […] Finalement, cette macédoine de concept, genre surgelé de resto U, donne Bouvard et Pécuchet qui voudraient bien refaire le dictionnaire des idées reçues par sondage- et qui vous expliquent en cinq cents pages que les enfants pauvres réussissent moins bien à l’école que les riches. »

« Jean-François Revel : confirmation de la théorie de Lavater sur la morpho-psychologie. Dispensez-moi d’écrire le reste… »

« Marguerite Duras. Vieille dame indigne des lettres françaises. Littérature Tampax à l’usage des attachés de direction et des divorcées sur la quarantaine. […] L’indigence de sa phrase donne l’illusion de mettre l’avant-garde à la portée des classes moyennes sans culture. […] Vieux corbeau littéraire. A jeter dans la Vologne. »

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Bravo pour cette curiosité intellectuelle qui vous pousse à lire une livre d'un auteur que vous jugiez agaçant à l’époque. J’avoue que j’aime bien aussi lire des choses à contretemps. Je laisse mûrir les prix Goncourt, s’ils deviennent blets trop vite, on s’évite les frais et le temps de la lecture et contrairement aux bons vins, quand ils sont vieux on peut les avoir à moins cher en livre de poche:-)

Donc, maintenant que les moutons ont cessé de bêler, on peut relire le Jean-Hedern pas si fou à lier que ça d’ailleurs. La manière dont il exécute Duras est un vrai bonheur.

10:17 AM  
Anonymous gay telephone said...

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1:00 PM  

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