La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, octobre 24, 2007

Fin de l'abécédaire

Les contes de fées et l’art de la subversion (1983) de Jack Zipes (Payot et Rivages. Petite Bibliothèque Payot. 2007)

Terminons ce deuxième abécédaire, si vous le voulez bien, par un essai ; genre de livres que j’ai un peu délaissé le temps de cette exploration alphabétique de la collection l’imaginaire. Spécialiste du conte et de la littérature pour la jeunesse, Jack Zipes analyse ici la portée sociale des contes de fées, qu’ils soient classiques ou contemporains. Après les analyses freudiennes d’un Bettelheim, voici donc venues les analyses idéologiques.

Dans un premier temps, Zipes montre avec une certaine acuité la manière dont les auteurs classiques (Perrault, Grimm et Andersen) ont transformé les contes populaires traditionnels afin d’établir un modèle de civilisation conforme à celui des classes dirigeantes. En s’appuyant sur des exemples précis, il montre comment Perrault, par exemple, a rédigé ses contes de manière à proposer aux enfants un modèle culturel qui est celui de la bourgeoisie de Cour (classe à laquelle appartenait Perrault). Si de nombreux contes semblent offrir aux jeunes filles pauvres les possibilités d’une ascension sociale, il faut d’abord qu’elles se conforment au modèle dominant de l’aristocratie. Elles doivent être belles, coquettes, discrètes, dévouées, loyales et obéissantes à leurs maris. Ce sont les « vertus » féminines qu’exalte Perrault tandis que les « vertus » masculines sont le courage, l’intelligence et l’adresse. Les femmes ne doivent être sensibles qu’à ces qualités et oublier l’âge ou la laideur de l’homme (Cf. La belle et la bête, Riquet à la houppe…). L’exemple le plus frappant que cite Zipes est celui du Petit chaperon rouge. Alors que le conte originel vient des sociétés médiévales matriarcales et témoignait d’un rituel initiatique pour les jeunes filles (dans la version d’origine, l’héroïne mange littéralement le corps de sa grand-mère : la petite paysanne prouve qu’elle est assez forte pour remplacer son aïeule), Perrault en fait un conte d’avertissement où les jeunes filles sont sommées de taire leurs désirs naturels (les bois, le loup…) et de les brider. En ce sens, il s’inscrit totalement dans un processus historique où le pouvoir cherche à contrôler totalement les femmes (c’est l’époque des procès en sorcellerie et de la chasse aux hérétiques).

A quelques nuances près, on retrouve cette même volonté de transformer les contes populaires en « armes » de socialisation chez les frères Grimm afin de permettre aux enfants du monde entier d’intérioriser les normes et valeurs de la classe bourgeoise. Je n’entre pas dans les détails mais la démonstration est assez probante.

Tout aussi intéressante est la manière qu’a Zipes de décrypter les contes d’Andersen et de souligner à quel point ils sont garants de l’ordre existant. Pourtant, Andersen vient d’un milieu pauvre et l’essayiste montre que son discours est celui du « dominé ». Mais chez l’auteur de la petite sirène, jamais l’ordre social n’est contesté même si la Providence peut intervenir et extirper un « vilain petit canard » de son milieu d’origine et lui faire gagner des galons. La résignation est toujours de rigueur.

Lorsqu’il se contente de déchiffrer le discours sous-jacent des contes de fées, Zipes est assez passionnant et très pertinent. Malheureusement, on se rend vite compte que ce n’est pas ce jeu avec l’inconscient politique qui gêne l’auteur, mais la manière dont il ne sert qu’une classe favorisée. Or ce qu’il veut, ce sont des contes aussi édifiants mais pour la « bonne cause ». Notre intellectuel gentiment de gauche, forcément féministe et écologiste bienveillant nous propose alors de nous emballer pour des contes « subversifs » dont le contenu, à quelques rares exceptions près (j’aime bien l’analyse des contes d’Oscar Wilde que Zipes défend avec réserves), semble totalement cucul et aussi moralisateur (même si c’est avec des visées différentes) que ceux de Perrault, Grimm et Cie.

Jamais il n’est question d’écriture et de style. Un conte a beau présenter un elfe du nom de Xram (Marx à l’envers) et militer pour la collectivisation des biens ; ça n’en fait pas une grande œuvre et il est même probable que cela n’atteigne jamais le millième de la beauté classique des contes de Perrault et Grimm !

Ce côté « idéologique » de l’auteur affaiblit un peu la portée de son essai qui n’en demeure pas moins une tentative très intéressante de décryptage sociologique des contes de fées de notre enfance…

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1 Comments:

Blogger Lyvie said...

interessant, oui. je lirai peut-être, mais cette analyse me semble restrictive. Je mettrai en parrallèle à cette lecture ("de gauche gentille écolo et féministe")femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estes. Elle propose un voyage dans les contes qui sont pour elle une mine inépuisable de force, de réflexion, de ressource, de liberté aussi.

8:53 AM  

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