La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, décembre 02, 2007

E comme Ellroy (ter)

L.A. Confidential (1990) de James Ellroy (Rivages/Noir. 1997)

Je connais finalement encore assez mal l’œuvre d’Ellroy mais ce qui me frappe à chacune de mes découvertes de ses romans, c’est le découpage presque cinématographique auquel il a recours. Prenez ce prologue mystérieux où un truand en cavale se fait descendre à la frontière mexicaine : l’action est menée tambour battant, on ne comprend absolument rien à ce qui se passe et l’on termine sur une exécution : Cut ! Générique…

Ellroy nous présente par la suite les trois flics qui vont se partager la vedette d’une intrigue compliquée et foisonnante où diverses enquêtes ne cessent de rebondir et de se recouper. L’auteur use ici du montage parallèle pour suivre les chemins de Bud White dont les méthodes policières sont d’une extrême violence, Jack Vincennes, sergent qui travaille avec la presse à scandales pour s’attaquer au monde du cinéma et Ed Exley, jeune arriviste ambitieux qui veut absolument égaler la réussite sociale de son père (un ancien membre du LAPD devenu richissime entrepreneur). Autre technique cinématographique : pour transcender le caractère un brin mécanique de la construction du livre, Ellroy leste ses personnages d’un poids psychologique toujours aussi impressionnant. Il utilise ici le flash-back pour donner à chacun de ses trois flics un secret qui conditionne plus ou moins son comportement : le père de Bud White battant à mort sa mère sous les yeux de son fils, un titre de gloire usurpé pendant la guerre par Exley et une bavure à mettre sur le compte des stupéfiants pour Vincennes.

Enfin, pour terminer sur le parallèle roman/film, Ellroy se sert de coupures de presse en guise de transition entre les différentes parties du roman. On imagine très bien ce procédé à l’écran : l’année qui s’affiche en incrustation, une succession rapide de « unes » et une voix-off qui commente les événements.

Si L.A. Confidential adopte les techniques de la narration cinématographique (rappelons par ailleurs que ce livre a été porté à l’écran par Curtis Hanson en 1997 et que l’auteur de 8 miles signait là son meilleur film), l’intrigue même du roman gravite également autour d’Hollywood et des milieux du cinéma. L’écrivain se plait d’ailleurs à mêler des personnages fictifs à des faits réels (la liaison scandaleuse de Lana Turner avec le gangster Johnny Stompanato et l’allusion au meurtre de ce dernier par la propre fille de l’héroïne de Mirage de la vie) et à jouer sur le faux-semblant (ces prostituées qui se font le visage de Ava Gardner, Rita Hayworth ou Veronica Lake).

Le livre est une plongée dans l’envers du décor Hollywoodien. Derrière le rêve d’un monde en forme de parc d’attraction, Ellroy décrit la cité des anges comme un abîme sans fond, un cloaque où le crime organisé (trafics de drogue, de magazines pornos…) est autant lié au monde des affaires et de la politique qu’à celui de la police.

Comme dans tous ses livres (du moins, ceux que je connais), Ellroy multiplie les personnages (à tel point qu’on s’y perd parfois un peu mais ça fait aussi partie du plaisir de la lecture) et décrit les liens ambigus qui les rapprochent. Rien n’est simple et c’est cette complexité psychologique qui fait le génie de cet auteur : la haine que se vouent Ed Exley et Bud White se change en une espèce de fascination réciproque et de « vampirisation ». Ce n’est qu’un exemple mais il serait très facile d’en citer cent autres. Aucun personnage n’est tout « blanc » : Exley semble le plus probe, le plus féru d’une justice exemplaire mais c’est également un ambitieux prêt à tout pour atteindre les sommets. Inversement, Bud White est une brute et même parfois un assassin mais sa violence est dirigée exclusivement contre ceux qui s’en prennent aux femmes (à travers cette brutalité, il cherche à venger sa mère). Quand à Vincennes, c’est à la fois un « ripou » qui peut ruiner la carrière d’un gouverneur par le biais des tabloïds avec lesquels il collabore mais aussi un flic en quête de rédemption, qui s’en prend au monde du cinéma pour « racheter » la faute que lui ont fait commettre les drogues auxquels il s’adonnait.

Ellroy, en dessinant des personnages incroyablement complexes, ouvre des perspectives assez vertigineuses et s’interroge sans arrêt sur la frontière entre le Bien et le Mal. Jamais il ne semble pouvoir séparer clairement ces deux notions et même les victimes « innocentes », les trois noirs ayant fait office de boucs émissaires dans l’affaire du « massacre du Hibou de nuit » (c’est autour de cette enquête que se déploie tout le livre) se révèlent être, au bout du compte, d’affreux violeurs.

Si l’enquête finit par être « résolue » (le lecteur connaîtra presque tous les tenants et aboutissants de l’affaire), L.A.Confidential se termine néanmoins sur l’idée du mensonge et du secret. Le vernis écaillé par tant de meurtres et de règlements de compte obscurs aura vite été remis en place.

Mais derrière cette surface « respectable », le gouffre…

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je partage ton avis sur ce magnifique roman ! Mais personnellement, les pastiches de journaux à scandales qui ponctuent la progression du récit m'ont ennuyé. D'ailleurs je crois que ce sont ces fausses coupures de presse qui, plus que l'alternance des trois points de vue, donnent quelque chose de mécanique à la structure du roman.
N. B. : Le prologue de L.A. Confidential est en fait la conclusion du Grand Nulle part...

8:11 PM  
Anonymous voyance gratuite par telephone said...

Merci pour ce billet très agréable… et souriant (pour un sujet pas évident) !

4:43 PM  

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