La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, décembre 27, 2007

La morale pour les Nuls

L’éthique (1927) de Pierre Kropotkine (Stock. 1979)



Nous pensions, en entamant ce livre d’un des plus célèbres théoriciens de l’anarchie, que nous pourrions le faire rentrer sans peine dans le cadre de nos écrits « subversifs » et « sulfureux » auxquels est plus spécialement voué ce nouvel abécédaire. Les paroles d’un révolté que j’avais déjà lues n’étaient pas, certes, d’une extrême virulence mais il y avait néanmoins là-dedans une verve anarchiste qu’on sera bien en peine de retrouver ici.

A ce propos, je me demande bien pourquoi mes amis anarchistes persistent à exhiber comme figures tutélaires de leur idéologie l’imbittable Proudhon et ce brave Kropotkine dont les idées sociales sont presque aussi excitantes que celles prônées aux congrès de la CFDT ! Faudrait peut-être songer à aller voir du côté de Pouget, Libertad, Darien ou Fénéon pour se sortir de cet anarchisme « sirop de coing » (dixit Noël Godin) dont Kropotkine fut l’un des représentants les plus emblématiques.

L’éthique est d’ailleurs moins un ouvrage politique et polémique qu’un traité philosophique, Kropotkine cherchant ici à déterminer les origines de la morale.

Nous voilà donc partis pour un long historique des doctrines morales depuis l’Antiquité grecque (Platon, Aristote, Epicure, les stoïciens…) jusqu’aux penseurs de la fin du 19ème siècle (l’éthique évolutionniste d’un Spencer) en passant par les travaux des Encyclopédistes et des positivistes.

Après avoir distingué dans ce panorama historique les penseurs qui ont donné aux idées morales une origine supranaturelle et ceux qui les ont trouvées dans l’homme lui-même (sous diverses formes : la recherche du bonheur, l’utilitarisme, la Raison et l’impératif catégorique kantien…) ; Kropotkine tente de définir une éthique matérialiste fondée sur les sciences naturelles et soumise également aux lois de l’évolution. Pour lui, il existe en l’homme (mais également chez les animaux) un instinct social naturel qui prédomine sur l’égoïsme individuel et qui tend à une amélioration des conditions sociales. C’est la notion d’ «Entr’aide » qu’il développa dans l’un de ses ouvrages théoriques.

Il s’agit donc de renouer avec cette morale naturelle inhérente à l’homme et de recréer une harmonie entre les individus et la société.

Certaines réflexions ne sont pas inintéressantes (la distinction entre l’individuation et l’individualisme prôné par les doctrines libérales, par exemple ; les possibilités d’imaginer une société humaine sans un Etat omnipotent et centralisateur…) mais elles sont noyées dans un long fleuve philosophique pas forcément rebutant mais finalement assez anecdotique (j’avais parfois l’impression de lire « La morale pour les Nuls » !)

L’ouvrage, publié à titre posthume et présenté comme le dernier livre de Kropotkine, devait être suivi d’un second volume inachevé où l’auteur présentait les différents stades de l’éthique et qui, pour le coup, devait s’avérer plus « concret ».

Mais ce qui m’a le plus ennuyé, à vrai dire, dans l’éthique, c’est ce côté assez béni-oui-oui que l’on retrouve chez pas mal d’auteurs marxistes ou d’adeptes du communisme libertaire : une manière de se débarrasser de la métaphysique en la remplaçant par une foi extrêmement naïve dans la science et l’homme. On n’est pas loin de Rousseau dans certaines pages du théoricien !

Il ne s’agit pas de jouer les cyniques devant tant d’idéalisme et de générosité mais, malheureusement, l’Histoire a achevé de rendre caduque les théories de Kropotkine. Reste à s’inspirer de certains de ses préceptes pour réussir à éradiquer ce capitalisme marchand meurtrier qu’on nous présente désormais comme le stade historique ultime…

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

"une manière de se débarrasser de la métaphysique en la remplaçant par une foi extrêmement naïve dans la science et l’homme" : à tel point que, chez Bakounine, certains arguments tendant à démontrer qu'il n'y a pas de Dieu pourraient être aujourd'hui utilisés par la science en sens inverse...
Heureusement, depuis, il y a eu un siècle de surréalisme ou Vaneigem... et malheureusement nombre d'anarchistes et environs, qu'ont le compteur un peu bloqué, semblent toujours l'ignorer...

3:05 AM  
Anonymous Anonyme said...

D'accord sur Vaneigem et les surréalistes mais une petite nuance tout de même : la pensée de Bakounine me paraît très intéressante et moins lénifiante que celle du bon prince Kropotkine...

7:06 PM  

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