La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mai 04, 2008

Le savoir-vivre de Vaneigem

Entre le deuil du monde et la joie de vivre (2008) de Raoul Vaneigem (Verticales)




S’il ne fallait lire qu’un livre pour comprendre « l’esprit » de Mai 68, c’est bien entendu le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem qu’il faudrait choisir. Et puisque nous sommes en période de commémorations, la sortie du dernier essai de l’auteur du Livre des plaisirs vient à point nommé pour mesurer à quel point l’homme est resté fidèle à ses combats d’antan (combien sont-ils à pouvoir en dire autant ?) et combien sa pensée reste précieuse en ces temps moribonds.

Sous-titré les situationnistes et la mutation des comportements, ce livre laisse penser que Vaneigem se penche sur son passé au sein du groupe et en analyse le fonctionnement.

Las ! Ceux qui s’attendaient à des révélations fulgurantes ou à un témoignage détaillé sur la vie de cette désormais mythique Internationale Situationniste (mythique car demeurant la seule organisation à ne s’être pas fourvoyée dans les idéologies les plus tartignolles de la fin des années 60 et à avoir dénoncé l’horreur du maoïsme et du stalinisme renaissant sous diverses formes à travers le monde) seront déçus.

L’auteur y fait bien quelques allusions mais ce n’est en fait qu’un prétexte pour poursuivre les analyses qu’il étaye depuis près de 50 ans ! A travers son expérience au sein de l’IS, il reprend les thèmes développés alors, ceux qui sont toujours d’actualité (l’émancipation de l’individu, la volonté de vivre plutôt que de survivre, la lutte pour se libérer des prisons du travail et de la consommation afin d’assouvir ses désirs…) et les impasses auxquelles il a été confronté (la réponse de la violence par la violence, le système des exclusions au sein du groupe qui relève de l’instinct de mort et du bouc émissaire…).

En bon disciple de Stirner (la révolte qu’il propose est strictement individuelle et ne prend racine qu’à partir du désir des individus : « La volonté d’émancipation est incompatible avec la volonté de l’imposer ») et de Fourier (Vaneigem ne se réfère qu’aux désirs, aux plaisirs et aux affinités électives) ; l’auteur analyse avec une véritable lucidité l’état de notre monde actuel livré aux saccages que lui font subir les marchands et les boursicoteurs.

Lorsqu’on reste dans le domaine de la critique, le livre s’avère très fort et témoigne d’un regard qui n’a rien perdu de son acuité :

« Ainsi, au rythme de la crétinisation publicitaire, le culte de la mode s’est-il érigé en critère d’excellence et d’exclusion. L’emprise du marché exerce sur l’enfance un pouvoir de subornation qui substitue au désir d’être soi cette envie de paraître essentiellement compétitive, d’où procèdent l’agressivité, la frustration, la violence, l’instinct prédateur. »

Vaneigem se livre aussi à de très belles remises en question du travail salarié à quoi il oppose le pouvoir de la création. Comme dans Modestes propositions aux grévistes, il milite pour la gratuité, notamment de tout ce qui relève du bien public (la santé, l’éducation, le logement, les transports en commun…).

D’aucuns lui reprocheront sans doute de rester totalement cloîtré dans son système utopique mais Vaneigem élude le reproche en s’en prenant à la servitude volontaire et au pouvoir de résignation des individus quand tout indique que la société livrée aux prédateurs et mafieux de l’économie les conduit vers l’abyme.

Néanmoins, s’il fallait quand même faire quelques petites réserves sur Entre le deuil du monde et la joie de vivre, outre son caractère un brin répétitif (finalement, Vaneigem reprend sans arrêt le même livre) ; c’est qu’alors même que l’auteur professe sa méfiance pour l’intellectualisme, il offre en pâture aux lecteurs des termes comme « vie », « vivant », « désir » qui finissent par paraître presque abstraits faute d’une définition précise. Je vois parfaitement ce que peut être la « survie » (l’obligation de se vendre pour un salaire permettant de manger et de se loger en attendant la sortie du bagne en fin de semaine ; sortie qui n’offre d’ailleurs qu’un itinéraire balisé à l’intérieur des plaisirs consommables !) mais qu’elle est cette « vie » que lui oppose Vaneigem ?

Est-ce ce retour à des sociétés de cueillette pour lesquelles il semble avoir de l’affection ? Et en quoi ce retour à la nature paraît plus « désirable » qu’une soirée au cinéma ou même dans un stade de foot ? (je fais exprès de prendre ce dernier exemple car si j’ai horreur du sport, j’ai bien conscience que le désir de certains peut également se nicher de ce côté-là )

Je sais bien que je caricature : Vaneigem ne prône jamais le retour à la nature et la vie en communauté (qui ne me paraît pas plus « authentique » que celle vécue dans le cadre de l’esclavage salarié !) mais les notions qu’il emploie sans arrêt me paraissent presque trop abstraites pour être opératoires (de la même manière, qu’est-ce que cette « création » à laquelle il fait toujours allusion en l’opposant au travail : est-ce des œuvres d’art ? de l’artisanat ? du bricolage ? des découvertes scientifiques ? Et est-ce que tout le monde en est capable ?)

Ces quelques réserves ne doivent pas empêcher de se plonger dans cette pensée fertile qui dresse un constat terriblement juste de l’état de notre monde. Les solutions apportées, même si certaines me paraissent frappées au coin du bon sens (gratuité, fin du travail…), me semblent encore un peu confuses.

Mais n’ayons pas peur de tout réinventer :

« Rien n’est impossible à celui que n’arrête pas l’improbable »…

Libellés : , , ,