La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, décembre 27, 2009

L'esprit de 68

*Hara-Kiri (1960-1985) : La pub nous prend pour des cons. La pub nous rend cons. Présenté par Cavanna (Hoëbeke. 2009)
*Siné, 60 ans de dessins (Hoëbeke. 2009)





On aurait tort de réduire les deux magnifiques albums que publient les éditions Hoëbeke au seul « esprit de 68 » mais il est évident que les deux « phénomènes » analysés dans ces livres ont été marqués durablement par les secousses du joli mois de Mai tout en ayant, par ailleurs, contribué à leurs manières à préfigurer les « évènements ».

Après Hara-Kiri, les belles images, voilà un nouvel album consacré à la revue mythique créée par le professeur Choron et Cavanna. Cette fois, il est exclusivement dédié aux désopilantes fausses publicités qui émaillèrent la publication lors des vingt-cinq années où elle sévit. Inutile de dire que ces pastiches n’ont pas pris une ride et qu’on reste parfois même sidéré par une audace difficilement imaginable aujourd’hui. L’esprit « bête et méchant » de la revue fait merveille ici nous rappelle de façon salutaire qu’on peut effectivement rire de tout à condition de le faire de manière intelligente.
Si les textes anti-pubs de Cavanna, aussi justes soient-ils, qui émaillent ce joli livre d’images paraissent parfois un peu convenus ; on doit reconnaître aussi à l’auteur des Ritals d’avoir quelques éclairs de colères assez bienvenus :




« Incroyable, mais vrai. Ce harcèlement, ce martelage, cette persécution, cette obsession, ce décervelage, ce viol, ce sirop, cette goujaterie, cette vomissure, ces sourires répugnants de vénalité, ces « idées » laborieusement mises au point par des spécialistes de la psychologie profonde du connard tout-venant, cette bonhomie hypocrite, cette monstruosité rongeuse de vie, tout cela, nous seulement, vous le supportez, mais encore vous l’avalez, vous l’enfournez, vous vous en goinfrez, vous vous y plongez, vous le laissez couler en vous et vous emplir tout, ça vous dégouline par la bouche, par les oreilles, par les yeux, par tous les trous, avec, peut-être, parfois, soyons justes, un soupçon d’agacement, mais VOUS ACHETEZ ! Vous obéissez ! Au doigt et à l’œil ! Vous y courez ! Vous avez peur qu’il n’y en ait plus pour vous ! Vous tremblez de n’avoir pas à temps le tout dernier machin, la toute dernière bagnole, que le voisin l’ait avant vous ! Vous faites exactement ce qu’ils ont décidé que vous feriez, les mercantis, les marchands de merde, les laveurs de cerveau, les tentateurs au nez rouge. »



Collaborateur à Hara-Kiri et Charlie-Hebdo, la (longue) carrière de Siné dépasse largement le cadre de ces deux publications. De ces premiers dessins publicitaires (et oui !) pour la RATP jusqu’à la création de Siné-Hebdo en passant par ses collaborations à Lui, L’Express, Droit de Réponses et la création de ses propres journaux (Siné-Massacre, L’enragé), cet album permet de revenir sur les multiples facettes du talent de ce dessinateur et polémiste hors-pair.
L’approche choisie est thématique (Siné et la guerre d’Algérie, Siné et Mai 68, Siné et les chats, Siné et le jazz, Siné et le sexe…) et nous offre le plaisir de voir (ou revoir) les meilleurs dessins du maître, naviguant entre l’humour noir, la caricature féroce et la violence pamphlétaire.



L’un des plus beaux portraits qu’on ait faits de Siné est peut-être celui de Jacques Sternberg publia dans Arts en 1958. Il nous offrira par la même occasion une jolie conclusion à cette note :
« Sa vraie patrie, c’est la violence. Sa force, son potentiel d’attaque comme sa volonté de jeter à bas. Dans un petit monde d’attiédis ou de béats prêts à tout accepter avec courtoisie, il a sur rester « l’affreux Jojo » qu’il est dangereux d’emmener en visite, toujours prêts à allumer un pétard sous les jupes des dames ou à mettre le crucifix dans la soupière fumante ».



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jeudi, décembre 24, 2009

Fin de siècle

Les racines du mal (1995) de Maurice G.Dantec (Gallimard. Folio Policier. 2001)

Il y a une véritable difficulté à parler aujourd’hui de l’œuvre littéraire de Maurice G.Dantec en faisant abstraction de ce que ce sinistre individu est devenu aujourd’hui (je vous renvoie à ce monument de bêtise fumeuse et xénophobe que constitue sa dernière « intervention »).
Celui qui citait à ses débuts Baudrillard, Deleuze et les situationnistes a aujourd’hui rejoint les pénates nauséabonds de Maurras et De Villiers, le tout saupoudré d’un messianisme yankee dont la puissance intellectuelle n’est pas loin de valoir celle des plus percutants aphorismes du peu regretté Georges Bush !
Bref, Dantec est un con, et ça ne fait aucun doute. Le problème, c’est qu’il est aussi (était ?) un écrivain. Sans adhérer à tous ses propos, je dois reconnaître avoir été séduit par la forme hybride et assez passionnante de son Théâtre des opérations (le premier tome de son « journal »). Je n’avais jusqu’à présent lu aucune de ses fictions et je me suis plongé avec une véritable curiosité dans Les racines du mal, son deuxième roman après La sirène rouge.

Force est de le reconnaître, Dantec fait preuve ici d’un véritable souffle d’écrivain. Lancé sur les traces d’un tueur en série (le redoutable et totalement allumé Andreas Schaltzmann), le lecteur se demande d’ailleurs comment l’auteur va parvenir à mener à bien son récit tant tout semble dit dans les cinquante premières pages d’un roman qui en compte 750. Pas de suspense à proprement parler mais une cavale haletante qui rebondit au moment où celui qui deviendra le narrateur principal du livre (Darquandier alias « Dark ») réalise qu’un deuxième tueur est sans doute en train d’agir parallèlement aux exactions de Schaltzmann.

L’un des intérêts des Racines du mal, c’est la façon dont Dantec parvient à mélanger le polar musclé (nous sommes, au départ, dans un thriller à l’américaine) et la science-fiction. Après la traque et l’arrestation du « serial killer » paranoïaque et schizophrène qui se déroule à une époque contemporaine (début des années 90), le récit rebondit sur une enquête menée dans un futur proche, où Dark et sa complice Svetlana utilisent les nouvelles technologies (notamment une « neuromatrice », sorte de clone humain dont l’intelligence artificielle permet de résoudre bien des énigmes et de projeter les enquêteurs dans un univers « virtuel ») pour résoudre le mystère de ces atroces meurtres en série qui semblent se propager en Europe.
Les racines du mal pourrait être cité comme exemple type de cette littérature qu’on qualifia à l’époque de « cyberpunk ». Dantec anticipe avec parfois une certaine justesse un monde où tout s’échafaude par des réseaux. Il remet au goût du jour (l’informatique, la cybernétique, le virtuel…) les vieux thèmes de la science-fiction comme cette crainte que les machines engendrées par l’homme finissent un jour par les remplacer dans une parfaite logique darwinienne (c’était déjà le thème de 2001, l’Odyssée de l’espace).
Parfois, il nappe le tout dans de pseudo-théories un peu fumeuses (on se passerait parfois de ce vocabulaire technologiste qui a souvent bien vieilli et de termes comme « fractale » répétés ad nauseam ) mais il parvient le plus souvent à nous emporter dans un récit dense, astucieusement construit et plutôt bien vu.

Même si Dantec commence déjà à tout mélanger (cette obsession d’un complot nazi, le millénarisme le plus naïf, les amalgames parfois douteux entre les théories du « jeu » chères à Baudrillard et aux situationnistes et la pratique des tueurs en série…), il réussit à nous plonger dans un univers pertinent, à la fois si loin et si proche et à ne plus nous lâcher (même si la fin est un peu décevante).

Reste qu’on est aussi tenté de lire l’évolution de l’écrivain à l’aune de ses premiers écrits. Il est amusant, en effet, de constater que les symptômes (purement littéraires) de son « serial killer » (obsession d’un grand complot extra-terrestre/nazi, paranoïa délirante…) sont peu à peu devenus ceux de Dantec lui-même, toujours prompt à déceler des menaces mortelles pour la « civilisation occidentale » derrière le moindre individu venant de l’autre côté de la Méditerranée ou du Bosphore !

Ces obsessions étaient intéressantes lorsqu’elles restaient celles d’un romancier. Maintenant qu’elles embrument le cerveau d’un individu, elles sont méprisables et risibles…

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